samedi 29 septembre 2012

Le Grand Fucked-Up


Attendu au virolo, Kevin Parker nous revient tout beau tout frais avec son pétaradant solitarisme. Ce charmant bambin d'Australie qui sur disque assure pratiquement tout tout seul (sans déc' les caupains ! quel zicos !) est la petite frappe molle qu'il faut saisir en ce moment.
Après le magistral "Innerspeaker", un disque égaré dans le cosmos, le disque qui vous a immédiatement donné envie de tout lâcher et de monter un groupe avec des gaillards qui ont de la weed et qui surfent, eux, pour faire la musique psychédélique ultime, et partir en tournée prôner le grand bazar sonique en bande organisée à bord de minibus Volkswagen. On s'était dit que ce petit morveux du pays des kangourous, et bien tout seul dans son studio de maisonnée, ou bien avec ses potes aussi barrés que lui, mais pas aussi bons (ceux de Pond, Mink Mussel Creek...), et bien ce p'tit gars-là il avait pigé pas mal de trucs sur comment trousser une bonne chanson. Explorant une dimension reversal p-sike laissée en friche par les bulldozers de Teenage Filmstars au début des nonantes, Parker déboulait donc, en 2010, avec ses flangers et autres broing grouined mooges, ses batteries exponentielles, ses phrases sibyllines machonnées dans son sweat de sa voix nasillarde rappelant Harrison et Lennon, et nous invitait à la plus bath des gigas thalasso-thérapies cosmique de la mer des Sargasses.
Avec ce "Lonerism", Kevin Parker, jouant toujours tout tout seul (mâtin, quel batteur!), a préféré laisser un peu en plan les envolées solaires en forme de mantras surf bucoliques, pour une pop plus efficace, plus plastique, plus orientée stadium que clé des champs. Mais cela avec une grandiloquence résolument "fucked-up" qui transcende l'essai. D'une misanthropie pleine d'empathie, Parker est un fédérateur-né (d'ailleurs il ressemble un peu au tennisman Roger Federer), le potentiel rassembleur de sa musique est énorme, et tandis qu'on imagine un petit slacker dans sa chambre, en fait ce type contrôle tout, il est le maître de l'Univers depuis chez lui.
Une boucle de batterie toute con, simple, efficace, un autre sample ("gotta be above it..."), puis la voix de Parker toujours aussi granuleuse, et là des accords de synthés dégoulinant et sublime à la fois. Une ouverture en grandes pompes crados et Parker a déjà mis toute la stratosphère dans son sac. Ça a la tronche d'une démo, ça a le goût d'une démo, et en fait c'est juste la méga race internationale subaquatique des sound-systems. Dans la démo lo-fi pourrie, tout est bon, c'est un fait établi, incontestable.
Le reste de ce second opus est magnifique, mais cela ne va pas tout à fait de soit dès les premières écoutes. Comme sur son prédécesseur, les chansons paraissent d'abord faciles ou bâclées, clairement commerciales en un sens, bref on est un peu déçu, même si c'est pas mauvais du tout, "où sont les neiges d'antan ?", se dit-on. Hormis bien sûr "Apocalypse Dreams", sans doute l'un des plus beaux morceaux de Tame Impala, le reste ne convainc pas tout de suite. Puis, petit à petit, des milliers de détails commencent à imposer l'évidence, Parker est au top de sa forme sur tout les niveaux. Ses morceaux à rallonge sont des tubes, pleines de mélodies électrisantes imparables, avec des tas de parties où soudainement on remet en cause toute la chanson pour repartir de plus belle encore ailleurs. Chaque intention de jeu ou de chant sont comme des plongeons la tête la première ou en faisant des bombes qui deviennent ricochets sublimes et intergalactiques. Parker rentre dans le lard de sa propre musique à chaque riff de guitare, à chaque break de batterie, à chaque franche tartinade de synthés, le tout noyé dans des reverbs et delays sans fin, des phasers divins, et avec un son, un son les collègues ! Et alors on prend son pied comme au temps des footings matinaux et pastoraux d'"Innerspeaker" qui vous emmenaient au bout du monde. "Music To Walk Home By", "Why Won't They Talk To Me ?", "Mind Mischief" ou "Feels Like We Only Go Backwards", pour ne citer qu'elles, sont autant de centrifugeuses par lesquelles Parker déboussole les continents, le tout en tongs-bermuda à fleurs et complètement stoned.

jeudi 13 septembre 2012

Wrong

Quentin Dupieux continue son bonhomme de chemin de cinéaste, tranquillement. Faisant tout, il écrit de belles séquences à l'absurde à la fois anecdotiques, arbitraires, et parfaitement intégrées à la normalité ambiante, à la réalité de l'appauvrissement de l'esprit humain dans notre époque. Il filme de beaux plans emprunts d'une mélancolie bien américaine, tout en couleurs vives, avec cet aspect motel-cadillac-coca-cola cent fois magnifié, pas encore éculé. Il compose en grande partie la musique, de belles plages synthétiques aux mélodies aussi mornes et lumineuses que ses images. Il conduit seul son montage, le tout avec relativement peu de moyens, une simplicité de dispositif qui n'a d'égale que la pauvreté d'âme de ses personnages et de son monde. Un monde depuis toujours enclin à l'aseptisé, à la perfection des formes et à leur neutralité. L'image, nickel-chrome, appuie cette déshumanisation programmée de l'espace, où les rapports entre les personnes sont aussi lisses et sans relief.
Nous sommes dans un aujourd'hui post-post-post-post tout, où un abêtissement généralisé est devenu la norme sociétale par défaut. Les ravages de l'époque sur l'inconscient collectif sont tels que désormais on ne distingue plus le logique de l'irrationnel. Le sacré serait devenu cette quiétude putride et confortable dans laquelle on en oublie le bon sens commun, jusqu'à nier que l'on fait du jogging tout les jours. Où les frontières de l'absurde franc et du encore un peu censé sont constamment en train d'empiéter l'une sur l'autre, rongées par une amnésie abrutie totale. Il est complètement anodin qu'il soit 7h60 et surtout que l'on ne vienne pas nous compliquer l'existence avec ça ! Et c'est pourtant ce que vient faire Master Chang en enlevant son chien à Dolph Springer pour que ce dernier réalise combien il l'aime et qu'il est malheureux sans lui. Le concept d'anormalité se trouve ici mis en orbite dans quelque galaxie fort lointaine, en fait on ne saisit plus ce qui est vraiment le plus déprimant sur cette planète. Est-ce que c'est le fait que le palmier devienne un sapin ? Est-ce cette déliquescence hégémonique qui rend l'anthropomorphisme morbide de Chang et de Dolph presque émouvant ? Les personnages, du jardinier joué par le très grand Judor en passant par Emma, sont tous vides de vie mais pas dénués de caractères.
Les films de Dupieux sont toujours malades et désespérés, on ne dira pas de grands films malades car l'oeuvre dupieusienne est somme toute bien mineure. Il y a un cynisme un peu arrogant-branchouille qui sourd de chaque plan et rend ses humbles projets (et tout de même ô combien respectables) plus hautains qu'ils ne pourraient s'en donner l'air. Une manière de clamer haut et fort son étrangeté normale qui rend la pseudo-singularité de l'auteur bien commune. Et cela nuit à la pleine réussite de l'ensemble, car c'était déjà le problème majeur de "Rubber" et des précédents films, et "Wrong", le plus réussi, sorte de "Beethoven" avant-gardiste, continue sur la même constante mais avec plus de cohérence dans le bizarre généralisé. Les réactions des personnages se justifient plus facilement qu'auparavant, on est moins dans un étrange arbitraire que dans l'insondable ordinaire. Manque à Dupieux une vraie profondeur de champs, la représentation de l'espace est encore trop resserrée sur son petit univers. Comme le note Chauvin dans le dernier n° des Cahiers, fait défaut cette envergure politique qui faisait toute la puissance des films surréalistes de Bunuel, pour ne citer que celui qui a mis en scène l'absurde et le surréalisme avec le plus de génie. Ici nous sommes dans une espèce de provocation par la narration tout juste capable de transformer un palmier en sapin, autant dire le degré zéro de la narration débridée. "Wrong" est un film bien, sympa, drôle, qui en dit long et en même temps pas assez sur le dépérissement global et la bêtise de la condition humaine. Un film qui impressionne par moments furtifs mais qui ne laisse pas beaucoup de traces.