lundi 21 mai 2012

Point of Viiiiieeeewww


Notre texan préféré frappe encore très fort avec ce topographique et pastoral "Moonrise Kingdom", énième sommet d'une carrière qui est telle un St-Joseph ou un Châteauneuf-du-Pape, exceptionnelle, et qui se bonifie d'année en année. 

L'on n'est pas là pour enfoncer le couteau dans la plèbe, mais quand même, les gens stupides peuvent cancaner et reprocher à Wes Anderson de se répéter, de faire toujours le même film avec une inspiration qui donnerait des signes d'essoufflement, qu'ils enlèvent la crotte de devant les yeux et on en reparle. Car comme dirait Thomas Langmann, ils sont à côté de la plaque. D'abord, reprocher à Anderson d'utiliser la même rhétorique de cadrage film après film, c'est être sourd. Sourd à l'évidence de l'empreinte intime du cinéaste et du carcan formel, mélancolique et magnifique, qu'il a su établir avec sa singularité et un brio de champion. D'aucuns diront que ses films racontent toujours les mêmes histoires de familles déclinantes et que l'auteur ne se renouvelle pas, qu'il serait paresseux. C'est un comble et une gageure. Qu'un cinéaste qui a porté le style de la paresse à des excès de mono-maniaquerie sans limites, et dessiné un portrait en mille-feuilles du génie en jeune film se retrouve critiqué par des gens qui ont oublié ce que c'est que le beau (ou qui ne l'ont jamais su), cela est révélateur de l'époque durant laquelle ces films sont crées.

Les situations scénaristiques d'Anderson sont de l'étoffe dont sont faits les rêves. Et leur réalisation dépasse l'entendement, la vie y est vécu comme on aurait voulu que ce soit. Qui n'a jamais secrètement désiré vivre comme ces personnages ?  De laisser couler son spleen dans un univers où chaque situation serait privilégiée et parfaite, chaque détail à la fois esthétique et nostalgique et où notre rapport aux autres serait enfin devenu un rapport.  

Comme Richie Tenenbaum, de passer plusieurs mois en cure/croisière sur un bateau pour se remettre de son chagrin d'amour ; comme Max Fischer d'être inscrit à tous les clubs de son école et d'être amoureux d'un professeur ; ou comme Steve Zissou, immense petit documentariste océanographe dont l'âge d'or est révolu, de retrouver ce requin jaguar dans des eaux non protégées à l'aide d'une équipe de bras cassés magnifiques ; ou comme Sam Shakusky de fuguer avec son amoureuse tels Paul et Virginie dans des contrées où la nature est sublime avec pour tout bagage un mange-disque, quelques bouquins, et de quoi faire de chouettes hot-dogs la touche finale d'un tableau naturaliste aux tons d'or, de miel, de pins et de mayonnaise circa 1965.

Tel André Gide et ses "Nourritures Terrestres" ou Brian Wilson et sa symphonie adolescente adressée à Dieu, l'oeuvre andersonienne est un poème sur la vie rêvée. Avec tout ce que les éléments de notre quotidien peuvent susciter comme émotions et sensations. Les films de Wes Anderson sont des parcours émotionnels, l'aboutissement de fouilles archéologiques dans l'intime devenu film. Et c'est ce terreau là qui est creusé. 


Dans les films d'Anderson, on cherche, dans sa propre maison pour la famille Tenenbaum, dans la mer pour la Team Zissou, dans la terre pour la joyeuse bande de ratons du fantastique Mr. Fox, dans les cartes pour le scout Shakusky... 
Et on cherche souvent le père, le mentor, ou l'idéal, l'Atlantide, le Graal, ce qui revient un peu à la même chose, on cherche le refuge originel, l'au-delà matérialiste, la finitude. Autrement dit, on se cherche soi-même.

On navigue, on creuse, on suit une piste, et ce qu'on trouve bien souvent tout d'abord, c'est l'Amour, familial, spirituel ou romantique. Mais cela ne résout pas tout les problèmes existentiels et il faut encore se réaliser dans la recherche d'un ailleurs impossible, d'un temps à reconstituer. Alors il faut trouver le Père car celui-ci est absent, ne veut pas en être un, ou est mort mangé par un requin ou "pour avoir essayer de sauver sa famille de la carcasse d'un destroyer torpillé". La croisière se transforme en croisade et il faut toujours faire vite car on a le monde extérieur à nos trousses. Et il faut braver toutes sortes de dangers symboliques, en passer par des rites initiatiques, des deuils, prendre la foudre...

La quête n'aboutit jamais, car dans la réconciliation, et une fois l'utopie réalisée, puis détruite, tout ce que l'on a c'est la vie sauvage dans un supermarché, le boy-scout devenu flic, ou plus tragiquement on trouve la mort comme Ned Zissou. 
"Car il n'y a plus un endroit sur terre sans qu'il n'y ait des morceaux de fer qui tournent autour de moi". Aussi la vie idyllique est-elle impossible et voué au chaos et à la décrépitude. La fin de l'innocence est inéluctable, le magique été de 1965 ira prendre la poussière dans le grenier des souvenirs.


On observe beaucoup, et ce depuis différents points de vue, de loin, de haut, de face, d'en bas... on se salue aussi, on s'épie en cachette à l'aide de jumelles ou de dauphins albinos. On pointe le doigt vers là-bas. Est-ce pour mieux se projeter dans l'Autre, dans l'Ailleurs, que l'on regarde le monde depuis sa lunette, dans sa tour d'ivoire ? Ce qui est beau est-ce la distance ou faire corps avec les choses ? Dans quoi trouve-t-on l'épanouissement, l'isolement ou la vie de famille nombreuse ?

Il s'en faudra de toute une échappée, une envolée dans la nature pour comprendre, et tomber de haut.
Que ce qui aliène les hommes et le monde c'est ce fichu fétichisme de la marchandise, et cette sublimation d'un monde réel vu de loin n'est qu'illusions perdues.
"L'Enfance ? Mais c'est ici, nous n'en sommes jamais sortis". Le plus important finalement étant de s'être garder une famille. 

 Chacun de ses films est un portrait du génie, et le lien avec la famille est à ce point présent que tant physiquement que psychanalytiquement, tout part de là et y retourne. Le génie se marginalise autant qu'il reproduit les mêmes schémas génétiques. C'est la famille qui permet son éclosion au monde en même temps qu'elle le broie, que le génie soit le père ou l'enfant, ou les deux, la famille enracine, donc elle emprisonne aussi... 


On trouve beaucoup d'analogies avec le cinéma de Luc Moullet dans celui de Wes Anderson, ce mélange de rigueur scientifique, d'absurde ubuesque et ce côté sport (tennis, canoë-kayak, cyclisme, rando...).  À la différence qu'Anderson serait psychogéographique dans le sport, quand Moullet le serait surtout dans la pataphysique. Et d'ailleurs, comme me le fait remarquer un éminent confrère, le personnage du narrateur cartographe joué par Bob Balaban ne serait-il pas un clin d'oeil évident à Moullet ?


Les "afféteries" pop ne sont pas qu'un chic d'homme de goût, ce sont autant d'éléments constitutifs de l'archéologie émotionnelle du cinéaste, des fantômes d'un passé mémoriel surgissant du subconscient. C'est aussi une véritable palette d'épices et d'aromates qui technicolorise l'histoire, la rendent immédiatement surannée et attachante. Un monde de théâtralité ambiante et nostalgique, où chaque plan comme chaque situation est impeccable sauf peut-être dans les dérives les plus folles, quand Anderson se prend soudainement pour John McTiernan. La musique est comme d'hab', sur-mesure. L'utilisation du Young Person’s Guide to the Orchestra de Benjamin Britten n'est pas anodine, elle dévoile des mystères à la manière d'un livre de recettes de cuisine ou de formules magiques, ou... comme un générique de film, les cymbales sont comme la scripte, les cuivres comme les machinistes, les flûtes comme les acteurs... Le film est comme un beau festin ou comme une symphonie, subtile, raffinée et riche en surprises, et dans cette maison familiale, pleine de pièces formidables, avec des objets désirables partout, ce style de vie parfait, c'est là que vit la jolie adolescente dont va s'éprendre le boy-scout orphelin et qui va être la cause de ce spleen juvénile et météorologique, qui est le combat de la vie sauvage contre la vie civilisée. 
La musique adoucit les moeurs, et qui sème le vent récolte le tempo d'Hank Williams.





lundi 14 mai 2012

Jeanette


Nous avons prénommé notre fille d'après cette chanteuse à la voix diaphane. Ses chants de sirène m'enchantent depuis l'enfance. Je fis connaissance avec elle par son tube interplanétaire "Porque Te Vas", éternelle reprise au cours d'Espagnol, mais ce fut surtout en passant et repassant en boucle la face B, "Seguire Amando", sublime ballade mélancolique au teint d'opale, que je fondis pour ce timbre discret, suave, cette douceur rassurante et emprunte d'un léger érotisme hispanique. De la pop espagnole telle qu'on en connaît finalement assez peu, si ce n'est, dieu merci, grâce à quelques uns de ces groupes signés depuis les 90's chez Elefant ou Siesta Records, tels Le Mans ("Entresemana" et "Aqui Vivia Yo"), Kiki D'Aki, La Buena Vida ou Pauline En La Playa...

Jeanette, de son vrai nom Janette Anne Dimech, est née le 10 octobre 1951 à Londres, d'une mère canadienne et d'un père belgo-congolais d'origine maltaise.
Elle grandit en Californie puis vient vivre à Barcelone en 1963. Elle commence à écrire des chansons et à jouer de la guitare et devient chanteuse du groupe Pic Nic qui signe chez Hispavox en 1967.
Elle commence sa carrière de chanteuse solo en 1970 et son premier succès sera "Soy Rebelde". Mais "Porque Te Vas", après une discrète sortie en 74, deviendra le tube que l'on sait grâce au film "Cria Cuervos" de Carlos Saura...


 


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jeudi 3 mai 2012

Saint Jean-Marie-Vianney


La Chapelle Saint Jean-Marie-Vianney par les architectes Pierre Sonrel et Jean Duthilleul à la frontière de Rueil-Malmaison et Nanterre, aujourd'hui et en 1960. Le clocher n'a rien perdu de sa splendeur ni le métal de son éclat. Merci à Architectures de Cartes Postales, mon guide de tourisme culturel adoré.




Non loin de là se trouve ce gymnase Jean Dame, et je me demande si Jacques Demy et Michel Legrand n'auraient pas trouvés l'inspiration de Mr. Simon Dame en se promenant comme moi dans Rueil-Malmaison...

Petit livre de conversations épatant avec ce génie de l'architecture du XXe siècle.

"Ah mais c'est que j'ai aussi eu ma période pragmatique ! Par exemple, à un moment donné je voulais me construire une maison, et quand je l'imaginais je n'avais qu'une seule idée en tête : que l'on puisse entièrement la laver au jet ! Je ne voulais plus d'aspirateurs, plus de moquettes. Je trouvais cela arriéré et rétrograde. C'était surtout à mes yeux un effroyable instrument d'aliénation de la femme en général et de la femme de ménage en particulier. Donc je voulais une maison entièrement lavable au jet. Évidemment, je n'ai jamais eu l'argent pour faire ce truc-là... Mais même là il y avait quelque chose. C'était le jet, le ruissellement, donc l'utilisation de la gravité terrestre. Et un jour, pendant que l'on admirait en coupe le dessin de l'église de Nevers, et qu'on se félicitait réciproquement de la beauté et de la douceur des pentes, Virilio a dit : "Puisque cela nous emballe, j'ai trouvé : il faut vivre sur des plans inclinés ! " C'est lui qui l'a formulé ! Je le reconnais bien volontiers. J'ai dit oui tout de suite, mais j'ai ajouté : "Écoutez, quand même, donnez-moi jusqu'à demain, que je dorme..." Parce qu'il fallait tout de même s'engager ! "À la vie, à la mort" comme on dit ! Déjà que l'on ne m'aimait pas beaucoup, que l'on me suspectait de tout... Je voulais quand même la nuit pour réfléchir. J'étais certain de perdre tous mes clients... et c'est d'ailleurs ce qui s'est passé !"